Interview : Kiéran de Only Roots Records

Interview : Kiéran de Only Roots Records

Notre reporter Samydread est allé à la rencontre de Kiéran, fondateur du reggae shop et label Only Roots Records.

Auteur : Samydread
Publié le 06 octobre 2020

Cette année, cela fait 15 ans que Kiéran s'est spécialisé dans la vente de musique Jamaïcaine et cela à 99 % sur disque vinyle avec son shop devenu une véritable institution pour les collectionneurs de LP, 7" et 10" reggae. Notre reporter Samydread est allé à sa rencontre.

Kiéran, peux-tu nous dire comment et pourquoi t'es-tu lancé dans la réédition en 2010 avec ton label ?

Onlyroots Records, reggae shop  and label

Je ne me suis jamais vraiment considéré comme un label en tant que tel. Le nom "Onlyroots" était un pseudo choisit à la va-vite quand j’ai commencé à vendre des disques. J’ai simplement eu envie de rendre disponible des disques méconnus et/ou difficiles à trouver, des choses qui avant tout me plaisaient et qui me permettraient par la même occasion d’avoir des titres exclusifs et de me démarquer des autres vendeurs. Créer en quelque sorte une sélection à mon image.


Comment es-tu rentré dans la musique jamaïcaine avant d'en faire ton métier ?

Mon frère aîné qui s’est toujours intéressé à pas mal de styles de musiques a ramené quelques CD de chez un pote un jour, il y avait Linval Thompson "I Love Marijuna", I Jah Man - "Hail I Hymn" et la compil Virgin Frontline des Gladiators. Après çà, j’ai jamais décroché !



Quels sont les labels de ré-éditions que tu admirais avant de créer Onlyroots ?

A vrai dire, j’ai commencé réellement à m’intéresser aux labels en tant que tel quand je me suis mis à vendre des disques. Avant, je focalisais vraiment sur la musique et ne faisais pas trop attention au reste. Je ne me rappelle pas avoir suivi un label en particulier.


Et aujourd'hui ?

Deeper Knowledge aux USA, hormis toutes les rééditions, les gars ont sorti une tonne de titres inédits enregistrés à l’époque. Ils ont réduit la cadence maintenant, mais ils ont fait un boulot énorme. Ceci dit je respecte l’ensemble des labels indé quel que soit le style de musique car c’est vraiment un investissement personnel quand on se lance là-dedans, il faut être passionné pour y croire (ou riche).



Le business de la ré-édition vinyle dans le milieu du reggae reste assez opaque, tu presses à combien d'exemplaires tes sorties en moyennes ?

Ca varie de 500 à 1000 copies, il est jamais évident de savoir à l’avance. Il y a parfois des bonnes ou mauvaises surprises. Il est facile de fabriquer plus si nécessaire par contre se débarrasser d’un stock qu’on a sur les bras, c’est une autre histoire.


Même les puristes les plus acharnés ne t'ont jamais reproché de faire des bootleg, par contre pour certains il y a ce débat perpétuel de la source qui ne vient pas forcément des bandes originales. C'est ridicule selon toi ?

Je ne sais pas trop ce que tu entends par bootleg là.
Concernant le débat sur la qualité de la source audio, perso quand j’ai commencé à acheter et vendre des disques vinyles (repress), ils venaient de Jamaïque et le son était parfois affreux. A cette époque-là, on chipotait beaucoup moins sur la qualité, on cherchait pas à savoir comment c’était fait. C’était ça ou que dalle, c’était normal quoi, donc ça me fait un peu rigoler.

C’est une vrai quête d’obtenir les masters tapes de productions Jamaïcaines des années 70’s ou d’avant. Et la plupart du temps, ils n’existent plus ou ne sont pas en état. Si on a la chance de les obtenir, le procédé pour les utiliser est délicat et couteux.

En utilisant les disques vinyles originaux pour re-masteriser, si c’est fait dans les règles de l’art par un pro qui a la connaissance et le matériel, le résultat peut être très bon. Certes, l’ingénieur fera un nouveau mastering et mettra, même si il l’évite au maximum, sa propre touche. Mais il peut faire quelque chose de très bien et même améliorer la qualité sonore. Cela m’est souvent arrivé de découvrir plein de subtilités, par exemple dans le jeu de la batterie, qui ne s’entendait pas avant un bon mastering. Bref, mon avis c’est que tant mieux si tu peux le faire avec les bandes, mais sinon avec un vinyle en bon état, le résultat peut être très bon.


Si tu connais le marché des repress 50's/80's dans les autres styles, est-ce que c'est propre au reggae, cette histoire qu'il faut réédité à partir des bandes ?

Franchement, je n’y connais pas grand-chose à ce niveau-là, mais il est certains par exemple que dans toutes les ré-éditions de musique Africaine, compilations etc. les personnes qui font ça n’ont la plupart du temps pas les master tapes. Et c’est le cas de nombreux labels bien connus aujourd’hui.


Le mastering de Sam Precise de Hawick en Ecosse est clairement une valeur ajoutée à tes sorties selon moi. Comment s'est fait le lien avec lui ? Peux-tu nous parler de lui ?

C’est Hervé du label Iroko qui m’avait conseillé de passer par lui, et c’est vrai que depuis que j’ai essayé, j’ai jamais arrêté. Je ne sais rien sur la formation de Sam, je crois qu’il y a quelques infos sur son site. Au fil des années, j’ai vu la progression de son boulot, il était déjà très calé mais il s’est adapté. Beaucoup de gens sonnent à sa porte maintenant, notamment dans le milieu du Reggae. Il arrive à créer, à donner une dynamique importante aux disques et maîtrise toutes les étapes. Il est très à l’écoute, ce qui permet de donner ses impressions, faire des demandes spécifiques.

En plus de cela, le gars est très sympathique, que demander de plus ?


Tu as la licence Augustus Pablo, tu as ré-édité des énormes Harry J ou Sonya Pottinger et Alvin Ranglin entre autres. Peux-tu nous parler de leur sens du business ou de celui de leurs ayants-droits ? Est-il comme la légende le dit des producteurs jamaïcains : pas tendres en négociations ?

King Tubby's meets rockers uptown

Je n’ai pas la licence Augustus Pablo comme tu dis, mais j’ai un bon contact avec la famille, oui.
Là, c’est vraiment très vague, je ne pourrais pas dire qu’en général les Jamaïcains sont durs en affaire. Ceci-dit, c’est vrai qu’ils sont habitués à tout négocier. Pas comme chez nous ou la plupart du temps le prix donné est à prendre ou à laisser. Après cela dépend vraiment des gens avec qui il faut traiter. Un producteur renommé, un artiste isolé qui n’a jamais eu de succès, un membre de la famille qui n’y connait pas grand-chose etc… Souvent les gens ne connaissent rien au marché du disque actuel, ils sont très méfiants et c’est bien compréhensible. Il faut prendre le temps d’expliquer, de gagner la confiance des gens. Et puis, il faut aussi savoir dire non et passer à autre chose.


Il y a quelques années, tu disais dans une interview accordée à Uplift que tu n'étais pas riche mais que ça n'était pas pour autant la crise. Est-ce toujours le cas en 2020 ?

Oui, je sais pas trop ce que je racontais à cette époque-là, mais disons que la situation est toujours la même. Tout le monde à une relation différente avec l’argent, l’effort produit pour l’obtenir etc... Je peux juste te dire que je suis satisfait avec ce que j’ai aujourd’hui quels que soient les moyens que j’ai mis pour y arriver. Etre travailleur indépendant aujourd’hui en France, c’est donner 45% de son bénéfice à l’état, ce n’est pas facile !


Parlons musique maintenant ! Il y a des producteurs / artistes / périodes en Jamaïque que t'aimes plus que d'autres ?

Freddy McKay

Dans la musique en général, j’aime surtout ce qui a été fait avant l’ère numérique. Spécialement pendant les années 70. Comme pour les labels, je n’ai pas vraiment d’artiste et/ou de producteur de prédilection. Surtout qu’il faudrait se concentrer sur une époque car leurs styles ont évolués dans le temps. Si je dois malgré tout citer un nom, je dirais Freddy Mckay, c’est une des voix que j’aime le plus.


Tu as l'air d'aimer le son UK aussi, non ?

Oui, peut être un peu moins maintenant. Mais il y a de nombreux groupes locaux des années 80, voir fin 70 qui sont méconnus, comme Natural Roots, Jah Lion, Eclipse Band, Liberators et bien d’autres. C’est pourquoi j’ai essayé de ré-éditer certains de leurs disques. Le label Bristol Archives a fait un gros travail à ce niveau-là.


Quelles sont les autres styles de musiques que tu aimes en dehors du reggae ?

J’aime la musique en général mais j’écoute beaucoup de musique latine, genre Salsa. Et aussi des groupes plus folkloriques locaux.


Quelle est la ré-édition sur ton label dont tu es le plus fier ?

VA- Roots & Culture at Randy's

Je ne retire pas une grande fierté des ré-éditions, par contre je suis assez content des compilations que j’ai faites présentant le travail de Norris Reid, celle des titres Reggae de Midnight Groovers ou encore la compil Randy’s « Roots & Culture » pour laquelle j’ai fait une pochette avec une impression de gravure sur lino.


Et laquelle a été la plus la plus longue, entre le moment où tu pensais la sortir et la sortie vinyle ?

Pour la plus longue, je crois que c’est une qui va arriver en Décembre, quelques années de patience ...


Pour finir, quelles sont tes dernières ré-éditions et tes prochains projets ?

Je viens de sortir 3 singles de titres « classiques », une fois de plus produits par Augustus Pablo et Clive Chin (Impact/Randy’s). Il y a Paul Whiteman « Say So », Bongo Pat « Young Generation » et Ta-Teasha Love (aka Senya) « Oh Jah Come ».
Pour la fin de l’année, j’ai plusieurs albums qui devraient arriver, des classiques produits par Alvin Ranglin, mais aussi quelques surprises produites par Sonya Pottinger ou encore Larry Marshall. Ce ne sont pas les projets qui manquent, mais le temps !


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