
En Mars de cette année sortait Awake, le premier album de The Roots Ark. Originaire de Nantes, cette formation propose un reggae roots de qualité teinté d'une touche de jazz. Nous avons voulu aller à la rencontre de celui qui est à l'origine de ce projet, Greg Dandelot, chanteur, bassiste et compositeur, afin de lui parler de son parcours, de Jah, de musique et de voyages.
Peux-tu nous dire d’où tu viens et nous expliquer un peu ton parcours ?
J’ai commencé à jouer de la musique à l’âge de six ans. J’ai d’abord joué du violoncelle, puis du piano et de la musique sud-américaine avec la quena, la zampoña (des flûtes) et le bombo (une percussion). Mes frères aussi jouaient, donc j’ai vu passer pas mal d’instruments chez moi : violon, percussions, batterie, flûte traversière, chorale, accordéon, guitare…
La musique a toujours été là ! D’autant plus qu’il y a une histoire assez originale dans ma famille par rapport à la musique : l’un de mes arrière-grands-pères a écrit une méthode de solfège devenue une référence mondiale, connue comme la méthode Dandelot. Il n’a pas fait que ça, il était aussi pianiste et compositeur, mais c’est ce qui est principalement resté de lui. Donc il y a cette histoire dans ma généalogie qui a teinté la toile de fond.

Par ailleurs, j’ai grandi dans un contexte plutôt original puisque la plus grande partie de mon enfance s’est déroulée dans la ville de Mexico. J’y ai vécu à partir de mes sept ans en voyageant pas mal dans tout le Mexique et l’Amérique centrale. Après ça, j’ai eu un parcours autodidacte et découvert la basse, la guitare, les percussions africaines et brésiliennes, j’ai commencé à chanter, à m’intéresser au son et à composer. J’ai eu de nombreux groupes. J’ai spontanément commencé à composer et à écrire des chansons vers dix-sept ans, avec mon premier groupe. Ensuite, j’ai pris du temps pour être side-man, simple bassiste, choriste, guitariste, j’ai même été batteur. J’ai fait quelques essais en sound-system, posé sur des faces B. Pendant une longue période, j’ai travaillé à reprendre les trios vocaux jamaïcains comme les Wailers de l'origine (Bob, Peter et Bunny), les Gladiators, les Heptones, les Abyssinians, pour perfectionner mon approche des harmonies. En 2013, j’ai eu envie d’aller à la recherche d’influences plus larges, de faire des tentatives, d’explorer… J’ai sorti un EP orienté soul-reggae acoustique avec Khagely Trio, projet qui a tourné pendant quelques années. J’y explorais aussi des rythmiques ternaires afro et d’autres grooves.
Après avoir travaillé sur pas mal d’enregistrements, fait du studio et de la scène à différentes places, je me suis senti prêt à enregistrer un album abouti. The Roots ark est donc né, dans l’intention d’initier un projet reggae ouvert sur le spectre des possibilités qu’a exploré le jazz ces dernières décennies, tant dans le rythme que dans l’harmonie et l’improvisation.
Peux-tu nous parler des musiciens qui composent The Roots Ark ?
Ce sont des musiciens basés à Nantes que j’ai rencontrés au fil des années, au fur et à mesure des projets que j’ai eus ou auxquels j’ai participé auparavant, ou bien par bouche-à-oreilles. Tous ont une formation jazz agrémentée de leur parcours personnel, qui peut aller des musiques africaines au rock, de la musique psychédélique à la funk en passant par la pop et le free-jazz. Je voulais pour ce groupe la possibilité d’un large panel d’interprétation et de connaissances musicales. A Nantes et dans les environs, il y a un grand vivier de musiciens, et dans le même temps, Nantes est un village, donc tu fais vite des rencontres ! Elles se sont donc faites au fil des années, et j’ai fait en sorte de rassembler tout ce petit monde quand j’ai entrepris l’enregistrement de l’album.
Dans l'album Awake, on ressent les influences du jazz mais aussi un peu de la musique latine. Est-ce une volonté de ta part de vouloir fusionner toutes ces influences ?
Pas spécialement, c’est un peu malgré moi ! J’ai voulu chanter un couplet en portugais sur une chanson, car j’ai passé quelques mois au Brésil et c’est un petit clin d’oeil. La volonté étant de faire un album riche en couleurs, c’est normal que mes influences latines s’y soient retrouvées. Il y en a surtout dans cette chanson et dans les deux autres titres plus acoustiques. L’intention pour nous est de créer notre patte à partir des bases de la musique reggae, mais pas de tout fusionner systématiquement, sinon on risquerait de perdre l’unité musicale. Les musiciens m’ont proposé leurs influences et on a affiné ensemble. Comme les musiques caribéennes ont beaucoup voyagé dans toutes les îles et sur le continent américain, il y a des sonorités qu’on retrouve dans plusieurs styles de musique. Tant mieux si ces couleurs sont mises en valeur dans cet album !
Comment s'est passée ta collaboration avec Roberto Sánchez ?

Je voulais travailler avec un spécialiste en la matière pour la réalisation. J’ai entendu parler de Roberto Sánchez par plusieurs sources ici à Nantes, notamment parce qu’il était déjà venu mixer des productions au Garage Hermétique, le studio où nous avons enregistré. On a donc commencé par travailler à distance, par téléphone, par échanges d’envois de pistes, de mixes, de mails… Pour finaliser et affiner le mix, on a terminé côte-à-côte dans son studio. C’est un gars vraiment super. Généreux, accueillant, efficace, précis. Il a toutes les qualités que je cherchais et je suis sûr que je retravaillerai avec lui. Il est musicien également, donc nous nous comprenons sur plusieurs plans. La rencontre avec lui a été très enrichissante.
Tu es multi-instrumentiste. Pourquoi as-tu choisi en plus du chant de te charger de la basse ? La guitare aurait été un choix plus facile...
A l’origine, j’ai commencé la scène en tant que bassiste-chanteur, avec mon tout premier groupe. J’ai joué plusieurs années comme ça, puis je me suis essayé à d’autres places comme je le disais tout à l’heure. Depuis quelques années, je m’accompagnais surtout à la guitare. Quand j’ai monté le Roots Ark, je voulais prendre la guitare, justement pour m’alléger. J’ai proposé à un bassiste mais il n’était pas disponible. Je ne voyais personne d’autre prendre cette place, alors je me suis finalement dit que c’était un retour aux sources. D’un côté, c’est plus exigeant que de chanter avec une guitare mais d’un autre, c’est une force de pouvoir être à la basse et au chant qui sont deux des piliers principaux de cette musique, et ça me pousse à travailler l’indépendance.
Groundation est très connu pour avoir su apporter au reggae une dimension jazz. Est-ce que ce groupe est une référence pour toi ?
Oui, Groundation est LE groupe qui a admirablement repoussé les frontières en intégrant l’influence du jazz au sein d’un reggae authentique. C’est clairement une référence. Harrison Stafford est quelqu’un d’inspirant et j’apprécie beaucoup ce qu’ils font.
Ton timbre de voix peut parfois faire penser à celui de Peetah Morgan, du groupe Morgan Heritage. Fait-il aussi parti de ces chanteurs qui t'influencent ?
Oui à fond ! Je reprends pas mal de titres de Morgan Heritage d’ailleurs ! Tu sais, tout le reggae m’inspire, depuis son âge d’or dans les 70’s et 80,s avec Burning Spear, les Gladiators, les Mighty Diamonds, les Abyssinians, Black Uhuru jusqu’aux artistes des nouvelles générations comme les Morgan, Chronixx ou Jah9. J’aime quand un artiste a une originalité, une couleur à lui, et j’aime les voix jamaïcaines.
Dans les notes destinées à la promotion de l'album Awake, il est fait mention de "combats" et de "défis"... Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
Cet album a été un combat de longue date pour moi car je me suis mis spontanément à écrire et composer il y a des années, mais ça m’a pris du temps d’apprivoiser mes influences et je n’avais jamais eu le courage d’aboutir un album et un projet de cette envergure. Donc c’était un véritable défi pour moi, du début à la fin, avec beaucoup d’épreuves car cela réveille beaucoup d’émotionnel. C’est une grosse étape dans mon cheminement personnel.

Bob Marley t’inspire beaucoup. Tu y fais pas mal de références dans tes textes, notamment dans le titre Talk With Ya. Je me trompe ?
Talk with Ya
[...] Babylon interfere with I everyday
They wanna come over I with their slaying
Slave drivers takin’ our lives away
Catch a fire gonna see we got wisdom to spread
‘
Cause youth a come gonna bun’ up the scene make the wicked dumb
Give your last smile mister swindler then go dig your tomb
Old pirates still a try a get us down
Jah Jah people keep a rising, go, live and become !
Fire burn in our hearts !
Fire live in our soul [...]
Greg Dandelot, The Roots Ark
Oui, très clairement, Slave Driver, Catch a Fire, ce sont des références aux Wailers. En fait, dans ce couplet là, il y a même deux ou trois autres références, même des références plus private. Tu sais, à Kingston, Bob et les autres pouvaient payer pour une petite phrase, ça se monnayait comme ça, dans la rue. Et dans ce titre-là ou d’autres, de temps en temps, je prends une petite phrase d’une chanson que je connais.

Il y en a d’autres, dans Remembrance par exemple : “I won’t forget my roots, I'll always remember the road I travel...”, ça vient d’une chanson de Burning Spear. Ou dans Choosing : “Life is one big road with lots of signs”. C’est Bob encore. De mon point de vue, les chansons sont des enseignements et leur message doit être transmis. Chanter et écrire, c’est aussi une manière pour moi de créer un guide spirituel. La musique et le reggae particulièrement jouent ce rôle de maître spirituel. Je pense à l’album Vision de Clinton Fearon qui est une une mine d’enseignements. C’est un véritable poète.
Dans les textes de tes chansons, on sent que le mystique t’inspire. Quel rapport entretiens-tu avec Jah et le divin ?
Burning Spear a dit : "Jah" est le nom qu’il faut qu’on utilise pour nommer Dieu afin que tout le monde se comprenne. Et Jah, c’est l’énergie. L’énergie qui est contenue dans tout ce qui vit, dans tout ce qui existe. J’ai toujours été attiré par l’animisme, qui est de considérer que tout ce qui vit a une âme : les arbres, les pierres, les animaux, les éléments… Je me vois comme un élève de la vie. Quand tu regardes à quel point la vie est mystérieuse et surprenante, rien ne serait possible si les miracles n’existaient pas. Et si les miracles existent, alors il existe un moyen de les faire s’accomplir. Jah, c’est la vie. L’énergie de la vie. Et cette énergie, je la traverse à l’aide de la musique. Je ressens la musique comme un modificateur d’états de conscience. On a découvert, ou re-découvert, que la nature de la vie est vibratoire, au sens des vibrations, des ondes. La musique est une alchimie des sons, des vibrations, et elle a cette complexité de pouvoir influencer, voire changer nos états de conscience. Le reggae a cette force. Toute musique a cette force, plus ou moins utilisée, plus ou moins orientée. Le reggae l’utilise consciemment, pour un enracinement et une élévation. Pour moi, le divin est dans tout, et la musique est le meilleur vecteur pour s’y relier.
Avec qui rêves-tu de collaborer aujourd'hui ?
J’ai des idées pour le deuxième album du Roots Ark, des featurings… mais comme il n’y a rien de sûr pour l’instant, je préfère les garder dans le silence.
Tu bosses déjà sur un nouveau projet ?
Oui, on commence à bosser sur le deuxième album, j’ai déjà quelques titres prêts et l’inspiration d’une thématique autour de laquelle écrire.
Et les featurings dont tu ne peux pas parler, ce sont des Jamaïcains ?
Oui ! Ils sont jamaïcains.
Tu as peut-être déjà la connexion pour ces featurings, alors je vais te demander un autre nom.
Par exemple un artiste qui n’a pas nécessairement de lien direct avec le reggae ?
Oui !

Alors ok, si tu me permets de rêver sans limite, je dirais que le plus fou serait de collaborer avec Esperanza Spalding ! J’invite tous les curieux à aller écouter les albums Radio Music Society et Chamber Music Society pour la découvrir. Pour moi, elle est tout simplement incroyable.
Quand pourrons-nous voir The Roots Ark en concert dans toute la France ?
Quand nous arriverons à booker des dates dans toute la France, ha ha ! On commence tout juste à travailler avec un partenaire à Nantes qui s’appelle Jakson Prod et se penche sur notre booking. Pour l’instant, nous avons surtout joué dans le Grand-Ouest, à part une tournée vocale acoustique qui nous a emmenés jusqu’à Genève en 2018. Maintenant que l’album est sorti, j’espère qu’on va pouvoir s’exporter plus largement et avec tout le groupe, en sextet.
Tu as sorti un maxi (12") avec deux titres et deux dubs issus de l'album Awake. Pourquoi ne pas avoir sorti l'album en version LP également ?

Par manque de moyens. Je voudrais sortir le double-LP de cet album mais pour l’instant, je n’ai pas trouvé les moyens ou les partenaires. J’envisage différentes solutions pour y remédier, comme un pré-achat ou un financement participatif, par exemple.
J’ai entendu dire qu’un clip allait bientôt sortir…
Peut-être, j’essaie de mettre en place le tournage d’un clip avec un réalisateur mais il y a beaucoup de paramètres qui interviennent car on veut tourner dans plusieurs endroits, en extérieur et intérieur et pour l’instant on n’a pas encore trouvé tous les éléments qu’il nous faut. Ça demande pas mal de moyens et comme c’est la première fois que je fais ça, je suis un peu perdu ! En vérité, je pèse encore le pour et le contre. Quoiqu’il en soit, si ça se concrétise, on annoncera bien entendu sa sortie sur nos réseaux et notre site www.therootsark.com. Merci et au plaisir de se rencontrer sur la route !
- Ecoutez l’album, ici : smarturl.it/therootsark
- Site officiel du groupe : therootsark.com
Copyright photo : Makaroots
Artwork album : Lô Cariou