Reggae Geel, légende vivante ou festival en mutation ?

Impossible d’évoquer la passion du reggae en Europe sans citer Reggae Geel. Ancré à Geel, en Flandre, depuis 1978, il fait partie des plus vieux festivals reggae d’Europe. Mais au-delà des souvenirs qui collent à la pelouse du parc Belse Bossen (là où il se tenait encore récemment), le festival reste-t-il aujourd’hui la boussole de la culture reggae en Belgique, voire au-delà ? Entre attachement viscéral, évolutions du line-up et nouvelles tendances, décryptage d’un monument… et de son futur.

Reggae Geel : un historique qui compte

Remontons 45 ans en arrière : quand le reggae s’exporte hors de la Jamaïque, Reggae Geel est un des premiers à oser la “Reggae Experience” en Europe du Nord. Dès sa création en 1978 (source : Site officiel Reggae Geel), il attire quelques centaines de mordus… avant de tutoyer, au fil des années, des pics à plus de 40 000 visiteurs lors de certaines éditions phares (notamment en 2014 et 2015, lors de l’apogée de la Dub Forest).

  • Première édition : 1978, en open air, 1 scène modeste
  • Transition multi-scènes : 2006, ajout de l’incontournable Dub Forest
  • Célèbres têtes d’affiche passées : Burning Spear, The Wailers, Damian Marley, Chronixx, Jimmy Cliff
  • Positionnement précurseur : premier festoch’ reggae européen à inviter des géants du dub international, dès le début des années 2000

Ce n’est pas un détail : en mettant en avant le sound system culture avant tout le monde, Geel a servi de rampe de lancement à toute la scène belge mais pas que. Historiquement, le festival a été copié mais rarement égalé en termes d’éclectisme et d’ambiance roots authentique.

Fréquentation, line-up : une formule qui s’essouffle ?

Longtemps considéré comme le “Petit Jamaïque des Flandres”, Reggae Geel a vu passer des légendes et révélé une flopée de talents. Mais, soyons francs, les chiffres de fréquentation ont quelque peu reculé ces dernières années. Avant la pandémie, on comptait en moyenne plus de 30 000 festivaliers sur le week-end. Or, l’édition 2022 a attiré autour de 18 000 visiteurs (source : De Standaard). Une baisse, certes liée en partie au contexte sanitaire, qui questionne sur l’attractivité du festival.

  • 2015 : pic d’environ 40 000 billets vendus
  • 2016-2019 : fréquentation oscillant entre 28 000 et 33 000
  • 2022 : retour post-Covid, moins de 20 000 festivaliers (source : De Standaard)

Outre les chiffres, c’est la programmation qui soulève quelques débats. Si Reggae Geel a longtemps assuré un équilibre délicat entre artistes jamaïcains incontournables, nouveaux kings du dancehall et pointures du dub, certains déplorent un “recyclage” des headliners et une baisse de prise de risques. Là où le festival était pionnier dans l’invitation d’artistes comme Chronixx ou Protoje avant que tout le monde ne s’y intéresse, les dernières programmations semblent parfois plus consensuelles.

Un public qui évolue, entre fidélité et quête de renouveau

L’un des gros atouts de Geel, c’est la mixité de son public. Des quarantenaires venus revivre une vibes roots aux jeunes selecta’s en quête d’une nuit Dub Forest, le site vibre d’une énergie intergénérationnelle unique. Pourtant, les discussions sur les forums belges (ReggaeFrance Forum) et les réseaux sociaux pointent ces deux dernières années un sentiment de “redite” :

  • Programmations moins audacieuses ou trop axées sur les anciens
  • Moins de “découvertes coup de cœur” sur les petites scènes
  • Attente d’une réelle ouverture à la scène afro ou française, émergente et ultra-productive

En même temps, impossible d’ignorer que le public belge a des attentes précises : l’ambiance sound system, les pionniers jamaïcains, le roots dub tard dans la nuit… restent des piliers. La question : comment renouveler sans casser la recette culte ?

Quid du positionnement face à la concurrence ?

Si Reggae Geel a longtemps navigué (presque) en solo en Belgique, le paysage festivalier bouge :

  • Le Reggae Sun Ska en France grossit chaque année et attire de plus en plus de Belges : 60 000 spectateurs en 2023 (Source)
  • Couleur Café (Bruxelles), autrefois melting-pot reggae, s’affirme davantage sur l’afrobeat, hip hop, soul mais tire la foule reggae/dub avec des afters et side events
  • Explosion des Reggae/Root/Dub outdoor parties, à Lille, Rotterdam, Cologne, qui attirent la jeunesse flamande

En interne aussi, la multiplication des micro-festivals sound system (Jah Shaka nights, Soundsystem Connection, Dub Up Festival…) apporte une fraîcheur compétitive. Plus petits mais très ciblés, ces events séduisent un public de diggers, à la recherche de line-ups pointus.

La Dub Forest, cœur battant et vitrine de toute la scène soundsystem

L’un des grands coups de génie de Reggae Geel, c’est d’avoir donné très tôt sa chance au Dub Forest. Inauguré en 2006, il a permis de propulser la culture sound system en Europe du Nord, en mode open air. Lieu de rendez-vous pour les crews anglais (Jah Shaka, Channel One, Aba Shanti-I), allemands, français (O.B.F, Stand High Patrol) mais aussi belges comme Blackboard Jungle, Forward Fever ou King Stepper Sound.

Ce coin du site, où la sono tremble jusqu'à l’aube, a été propulsé au rang de mythe, avec ses files d’attente interminables en fin de soirée. Aujourd’hui encore, pour beaucoup de têtes reggae en Belgique, c’est le Dub Forest qui porte Geel au rang de référence. Même si, depuis quelques éditions, certains regrettent la disparition ou moindre visibilité de collectifs underground, remplacés parfois par des guest plus “safe”.

  • Premiers à booker Jah Shaka en plein air en Benelux
  • Plateforme de découverte pour de nombreux crews belges désormais reconnus à Londres ou Barcelone
  • Véritable laboratoire de sonorités, de la stepper UK jusqu’aux racines jamaïcaines

Reggae Geel et l’impact socioculturel en Belgique

Au-delà du line-up, Reggae Geel a toujours joué un rôle de catalyseur :

  • Mise en lumière des artistes belges souvent snobés ailleurs
  • Essor du “sound system movement” en Flandre et à Bruxelles
  • Collaboration avec les associations sociales locales (plateformes éco-responsables, actions caritatives, soutien à l’intégration des jeunes)

Sur le terrain, l’édition 2019 affichait 30% d’artistes belges (“Reggae Geel 45 jaar”, Gazet Van Antwerpen, 2019). En parallèle, plusieurs soundsystem qui mixent à Geel prennent la route des écoles, des centres de jeunes, pour des initiations (source : Bruxelles Bondy Blog, 2019). Il faut le dire : Geel, ce n’est pas qu’un rassemblement massif, c’est aussi une scène qui infuse hors des clôtures du fest.

L’avenir de Reggae Geel au prisme des nouvelles générations

La question brûlante : Reggae Geel saura-t-il s’adapter à la mutation actuelle ? Si le festival veut rester une référence, il va falloir jongler entre fidélisation du public historique (qui veut son quota de roots et de têtes classiques) et séduction des jeunes, aujourd’hui totalement happés par l’afrobeat, le dancehall digital ou la nouvelle vague du rap-reggae UK.

Quelques pistes qui émergent dans le paysage belge :

  1. Accentuer la mise en avant des collectifs émergents belges et frontaliers
  2. Ouvrir les bras aux vibes afrobeat, reggaeton, grillées par la jeunesse flamande
  3. Réinventer la scénographie ou l’expérience public avant d’autres festivals européens (immersif, soundclash, format afternoon-to-dawn)
  4. Multiplier les collaborations avec d’autres festivals urbains et alternatifs : c’est là que la relève s’y retrouve

Reggae Geel, c’est une histoire d’ambiance, pas seulement de line-up. Là où d’autres courent derrière la hype, Geel garde encore ce parfum de festival à taille humaine où, chaque été, circulent les plus belles vibes de la scène européenne. Mais pour que la légende continue, il faudra, à l’image de la musique reggae elle-même, savoir garder le groove tout en renouvelant la mélodie.

En savoir plus à ce sujet :