Une programmation qui brise les frontières et les clichés

Faut être honnête : le Rototom Sunsplash a toujours mis la barre haut, mais en 2018, la programmation a transpiré l’éclectisme. Là où certains attendent le roots éternel, le festival a ouvert grand ses bras, mêlant têtes d’affiche historiques, voix montantes et pionniers des nouveaux styles.

  • Chronixx, locomotive du « reggae revival » jamaïcain, électrise la scène principale et offre un show qui marquera les esprits. C’est l'une de ses rares grosses scènes européennes cette année-là.
  • Ghetto Youths Crew (avec Damian « Jr Gong » Marley, Stephen Marley, et Julian Marley), là aussi : symbole fort de transmission et de liens familiaux du reggae, mais surtout, prouvant que la relève Marley n’est pas juste dans l’ombre du père.
  • Grosse diversité avec la venue de Ziggi Recado pour le modern roots, Samory I, Kabaka Pyramid, ou encore des européennes comme Marina P et des artistes africains tels que Seun Kuti & Egypt 80, les héritiers directs de Fela Kuti.

Mais l’événement 2018 frappe surtout par l’omniprésence des scènes alternatives : le Dub Academy bat son plein avec le crew O.B.F accompagné de Nazamba et Sr Wilson, illustrant la vague du dub steppa européen. Dancehall, afrobeat et même hip-hop font de timides mais remarquées incursions. Rototom affirme ainsi que le reggae européen est pluriel et globalisé.

L’année où l’Europe reggae s’est libérée de la tutelle jamaïcaine

Tout au long des années 2000, le reggae européen a souvent cherché la légitimation par la Jamaïque. Mais en 2018, la tendance bascule : la scène européenne s’affirme. Les artistes locaux ne sont plus là comme « apéritif » du line-up, mais bien comme des piliers du show.

  • Alborosie, originaire de Sicile, désormais installé à Kingston, incarne ce pont. Son show embrase le public et symbolise l’énergie italienne qui a toujours nourri le festival.
  • Le crew espagnol Green Valley, ovationné, montre que l’espagnol s’impose dans le reggae chanté – un cap notable dans un univers où l’anglais règne habituellement.
  • Le label français Stand High Patrol remplit l’espace dub avec des flows entre reggae, hip-hop et trip-hop. Le dub devient une langue européenne à part entière.

Rototom 2018, c’est l’Europe qui joue sa propre partition reggae et l’assume. L’impact psychologique sur le public européen est fort : l’idée s’impose qu’on peut faire du reggae qui parle à l’Europe entière, sans rester dans l’ombre des grands Jamaïcains.

Un festival engagé socialement : la musique comme laboratoire d’idées

Le Rototom, c’est plus qu’une suite de concerts. L’édition 2018 pousse la réflexion et assume de grandes causes : lutte contre les discriminations, ouverture à l’Afrique, droits humains, écologie. Dans le Social Forum, les débats fusent sur la légalisation du cannabis, l’accueil des migrants en Méditerranée, ou encore l’évolution des minorités dans la musique.

  • Des rencontres avec des penseurs africains, des militants antiracistes et des artistes venus de la diaspora noire européenne sont organisées (cf. Vice).
  • La caravane musicale du projet Exodus offre un espace de parole unique aux réfugiés et aux artistes sans-papiers. Pour la première fois, la migration est représentée non pas comme une détresse mais comme une source d’énergie créative.
  • L’espace Reggae University accueille des tables rondes avec les légendes et universitaires, notamment pour questionner l’avenir du genre en Europe et les liens entre reggae, politique et identités culturelles.

Le Rototom devient ainsi un zobie pour de nouveaux récits collectifs, où la musique est aussi une arme sociale. C’est ce qui a marqué bien des festivaliers cette année-là, et ce qui fait la différence face à d’autres festivals plus formatés.

La culture reggae européenne s’enracine, s’ouvre et se digitalise

2018, c’est aussi l’année où le Rototom accélère sa transition numérique. L’application mobile du festival est téléchargée à plus de 20 000 exemplaires selon El País, permettant l’accès aux horaires, plans, contenus exclusifs. Les livestreams atteignent des centaines de milliers de vues, notamment lors du show de Chronixx (source : YouTube Rototom Sunsplash Officiel). On voit émerger une nouvelle génération de festivaliers présents physiquement et digitalement, la communauté online se densifie.

  • Le boom des scènes Sound System et Dub Academy s’accompagne de sessions captées et relayées sur les réseaux sociaux, touchant un public qui n’aurait jamais fait le déplacement jusqu’en Espagne.
  • Le Rototom « exporte » l’expérience des campings, des ateliers, et même du sound clash à travers des formats vidéo courts et interactifs, générant une véritable dynamique virale en Europe et au-delà.

La digitalisation enclenchée en 2018 est rapidement suivie par plusieurs autres festivals européens et pose les bases d’un reggae qui se vit autant sur scène que sur écran. Le public, désormais international, se retrouve autour de hashtags et de playlists partagées, forgeant une nouvelle tribu connectée.

Un impact chiffré et concret sur la scène, les publics et les circuits

Niveau chiffres, l’édition 2018 du Rototom Sunsplash affiche plus de 210 000 entrées sur 7 jours (source : EFE), avec 77 nationalités représentées. Résultat : un melting pot de plus en plus métissé, des réseaux de booking indépendants qui naissent durant le festival – certains artistes espagnols décrochent d’ailleurs des tournées en Italie, France ou Allemagne après leur passage à Benicàssim.

  • Les stands de labels européens affichent complet et signent sur place des deals avec des artistes caribéens et africains : le Rototom devient plateforme de business mais aussi de rencontres, une vraie place de marché culturelle.
  • Des médias comme Reggae Ville ou United Reggae couvrent l’évènement en profondeur, ce qui donne une caisse de résonance inédite à la scène continentale.
  • La fréquentation féminine du festival grimpe également de 20 % par rapport à 2017 (ReggaeFrance), conséquence de programmations plus équilibrées.

On assiste clairement à un « Big Bang » : après 2018, de nombreux festivals s’inspirent du Rototom pour inviter plus d’artistes européens, miser sur l’hybridation des styles (reggae x afrobeat, reggae x hip-hop). Même la Jamaïque commence à jeter un œil plus attentif sur ce qui se passe ici.

Benicàssim, nouveau pôle névralgique de la world culture ?

Avec cette édition hors norme, Rototom Sunsplash 2018 propulse Benicàssim comme épicentre d’une Europe reggae mature, créative et décomplexée. Le festival brise l’isolement des scènes locales, fédère artistes et publics de tout le continent, et offre à la musique reggae un futur européen qui ne doit rien au hasard légendaire de Kingston.

L’énergie de ce moment charnière a inspiré toute une génération de jeunes artistes. L’avenir du reggae européen ne se jouera sans doute plus jamais sans une escale, chaque été, du côté de la Méditerranée espagnole. Jusqu’à la prochaine révolution sonore…

  • Sources : Vice, El País, EFE, Reggae Ville, ReggaeFrance, United Reggae, YouTube officiel Rototom Sunsplash

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