Le Télérama Dub Festival, bouillon créatif depuis 2003

Le Télérama Dub Festival, c’est l’histoire d’un tremblement de terre qui secoue la France tous les automnes depuis 2003. Visionnaire et rassembleur, l’événement a fait décoller le dub français en offrant une scène nationale à une culture autrefois confinée aux caves fumantes, aux free parties et aux radios pirates. Année après année, le festival a fédéré aficionados, curieux et activistes, traversant plus de quinze villes, de Paris à Bordeaux, de Marseille à Lille. Un marathon dub unique qui a vu passer la crème des sound systèmes et des pionniers du genre, tout en offrant une vibe consciente, festive et authentique.

Mais une question revient souvent sur les lèvres des passionnés : quelle édition du Télérama Dub Festival a le mieux représenté la scène dub contemporaine ? Plongée dans l’histoire vivante du festival et radiographie d’un moment clé du dub hexagonal et international.

Le dub contemporain : c’est quoi, exactement ?

Avant de remonter dans le temps, posons la question qui fâche et égaie : qu’est-ce qu’on entend par “dub contemporain” ? Il ne s’agit pas d’une simple filiation du duo King Tubby & Lee “Scratch” Perry : ces vingt dernières années, le dub a fusionné avec l’électronique, flirté avec la techno, le hip-hop, la bass music, absorbé les influences world, sans jamais perdre ce groove racé et ces infra-basses qui font vibrer le sternum.

  • Le dub stepper, avec ses kicks puissants et ses riddims saccadés
  • La dub techno ou “future dub”
  • Les associations live machines / chanteurs reggae
  • L’émergence de la bass music : trap, grime, UK bass, mélangés au dub
  • L’arrivée en force des producteurs numériques, armés d’Ableton, de delays et de reverbs à gogo

La scène dub contemporaine, c’est aussi une histoire de diversité : producteurs anonymes sous hoodie, crews sound system à l’énergie contagieuse, voix roots, poètes digitaux et passagers clandestins du dancefloor.

Remonter le fil : tour d’horizon des grandes éditions

S’il fallait retenir trois éditions charnières du Télérama Dub Festival question représentativité de la scène dub contemporaine, ces années s'imposent :

  1. 2010 : L’année du crash test, entre réel et virtuel
  2. 2014 : Le triomphe de l’hybridation (bass music, dub stepper, scène européenne)
  3. 2019 : Le grand bain mondial, entre Afrodub, bass music, activisme et héritage roots

Chacune a ses spécificités, ses coups d’éclat, ses line-ups qui font encore vibrer les oreilles longues années après. Mais c’est l’édition 2014 qui marque un tournant et qui, selon les insiders, reflète le mieux l’état d’un dub transgénérationnel, ouvert, connecté et créatif. Décortiquage.

2014 : L’année où le dub français explose les frontières

Flashback : automne 2014, le dub n’a jamais été aussi multiforme. Le public ne cesse de grandir : 31 000 festivaliers sur toute la tournée, une dizaine de dates à travers la France, et un marathon d'artistes français, britanniques, allemands, italiens, mais aussi des poids lourds jamaïcains. (Sources : Reggae.fr, Libération, Télérama)

Un line-up qui fait swinguer la planète

  • O.B.F. Sound System (France) : le collectif d’Annecy, fer de lance de la scène stepper, embarque son mur de Sound & ses collaborations avec Charlie P ou Sr. Wilson. Leur influence européenne est déjà énorme.
  • High Tone (France) : pionniers lyonnais du dub électro, mixant machines, stepper, techno et une imagerie quasi-sci-fi, font leur retour avec le projet “Ekphrön”. À l’époque, ils poussent le dub français vers l’ouverture la plus totale.
  • Iration Steppas (UK)
  • Soom T (Écosse) : l’ovni vocal de la scène, MC charismatique, qui démonte les platines et clash les basses avec sa verve poétique, oscillant entre reggae digital et hip-hop.
  • Dub Dynasty (UK)
  • Dubkasm (UK, Brésil)
  • Mayd Hubb meets Joe Pilgrim (France, UK)
  • Weeding Dub (France)
  • Zion Train (UK)
  • …et plus d’une trentaine d’autres, à Paris, Lyon, Nantes, Strasbourg, Bordeaux, Rennes, Marseille, Lille etc.

Le festival va jusque dans la rue, investit des lieux alternatifs et rassemble pour la première fois toutes les générations du dub, des anciens de la sono système jamaïcaine aux digital warriors ultra-connectés.

La parole à la jeune garde, le respect des pionniers

2014, c’est la première fois qu’autant de beatmakers autodidactes (Weeding Dub, Panda Dub, Mahom) se retrouvent en tête d’affiche, partageant les basses avec des légendes UK (Mad Professor, Zion Train) et une scène européenne nouvelle vague, qui fait souffler un vent frais sur le genre. Le dialogue intergénérationnel est explosif : sur scène, des collaborations inédites entre High Tone avec Sir Jean, Panda Dub avec Sista Bethsabee… Le public y assiste en live, front row, comme dans les sound systems jamaïcains d’antan, mais armé de smartphones et d’enregistreurs portables.

Le festival orchestre aussi des masterclasses et des lectures publiques (source : Trax Magazine), pour expliquer le dub, le sound system et les techniques de production à une nouvelle génération de beatmakers. Un signal fort : le dub français n’est plus une niche confidentielle, il aspire la jeunesse et lui fait prendre le mic.

Quand la bass music infuse le dub : une révolution sonore

L’édition 2014 entérine le grand mélange des genres. La bass music britannique infuse le dub hexagonal, qui répond à coup de synthés, de delays expérimentaux et d’une esthétique visuelle proche du mouvement “dub futuriste” (mapping vidéo, sets live immersifs, VJing). Les collaborations internationales s’ouvrent aussi au genderqueer et à la diversité, avec des MC et des productrices (Soom T, notamment) mises en avant à égalité sur les flyers.

Quelques chiffres marquants :

  • Plus de 30 artistes différents programmés en 2014
  • 13 villes étapes, un record pour le festival
  • Une fréquentation en hausse de 20% par rapport à 2013

La presse mainstream s’en empare : Télérama, Libération, France Inter saluent la “scène dub française plus vivante que jamais”, et la présence de figures internationales fait même parler Les Inrocks du “Woodstock de la basse”.

Impact sur la dynamique dub en France : un avant et un après 2014

L’édition 2014 assoit la légitimité du dub hexagonal hors des frontières loisirs “underground” et imprime définitivement la France comme place forte du mouvement. Plusieurs artistes, bookés cette année-là en “découverte”, connaîtront par la suite une ascension internationale fulgurante.

  • Panda Dub : sold outs dès 2015 à La Cigale & tournée internationale
  • Weeding Dub : signature sur des labels UK et sets dans de grands festivals européens
  • Mahom : tourne en Afrique, Asie et Amérique latine dès 2016

L’expérimentation du “dub digital live” fait école, tout comme la féminisation de la scène (à partir de 2014, on voit plus de femmes en MC et derrière les consoles sur toute la tournée). Ce mouvement va inspirer la génération du Dub Camp Festival et toute la vague de nouveaux collectifs français (Legal Shot, Roots Atao, Stand High Patrol).

Les autres éditions : coups d’éclat, mais pas de bascule aussi forte

Evidemment, d’autres éditions ont laissé des traces mémorables. L’édition 2010 avait marqué par son croisement avec la scène techno (Shackleton, Kanka, Télérama Sound System All Stars), 2011 par la venue de Mad Professor, 2018 par la percée afro-caribéenne (Biga*Ranx, Dub Shepherds, Afro Dub Crew). Mais aucune n’a autant replacé le dub français et européen dans un contexte mondial, entre héritage roots, énergie stepper et ouverture totale que 2014.

Qu’est-ce que cette édition nous dit du dub de demain ?

2014, c’est l’instant où le dub est sorti de la confidentialité pour devenir un pont entre générations, genres et idées. Depuis, les sound systems poussent dans tout l’Hexagone et l’expérimentation n’a jamais autant été à l’honneur, du dub digital au “trapstep” en passant par les collaborations afro-dub. Le Télérama Dub Festival a ainsi révélé le pouvoir fédérateur et créatif du genre, bien au-delà des scènes alternatives. Un vrai laboratoire de la bass music moderne.

Pour tous ceux qui veulent comprendre pourquoi le dub français rayonne aujourd’hui sur la planète, l’édition 2014 reste un repère, un jalon, un souffle. La basse ne s’arrêtera jamais – tant que le Télérama Dub Festival continue de secouer les murs et d’ouvrir les esprits.

Sources et références

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