Un bref retour aux racines du dancehall

Pour comprendre l’impact du dancehall sur le reggae moderne, il faut remonter à ses racines. Né à la fin des années 1970 en Jamaïque, le dancehall est une réponse directe au reggae roots. Alors que le reggae roots de Bob Marley ou de Burning Spear promouvait des messages spirituels et politiques parfois profondément militants, le dancehall naît dans une atmosphère plus festive et brute. Dénommé ainsi pour les “dance halls” où il était joué, ce style privilégie des riddims (rythmes instrumentaux) plus rapides et saccadés, portés par des paroles qui oscillaient entre séduction, ego trip et commentaires sociaux plus directs.

Le pionnier Yellowman, figure de proue des années 1980, ou encore Shabba Ranks dans les années 1990, ont non seulement marqué l’histoire mais aussi ouvert la voie à une approche plus accessible et énergique que celle des hymnes roots. Le reggae et le dancehall sont restés frères ennemis, partageant leurs origines jamaïcaines mais déployant des tonalités et messages qui diffèrent souvent.

Le dancehall à l’ère des global beats

Depuis les années 2000, une chose est claire : le dancehall n’est plus qu’une affaire locale. Ce genre à haute énergie a imprégné les scènes mondiales, influençant des artistes de pop, de rap et même d’électro. Prenons l’exemple de Sean Paul ou Beenie Man, dont les tubes comme Temperature ou Who Am I ont ouvert les portes du dancehall à un public global. Mais là où ça devient intéressant, c’est dans la manière dont ce succès mondial a rejailli sur le reggae contemporain.

Le reggae moderne, avec des artistes comme Chronixx, Protoje ou Koffee, intègre ces sonorités dancehall tout en rendant hommage au roots. Les riddims ont gagné en complexité, embarquant des éléments afrobeat, trap ou même drill, créant un patchwork sonore. Même les fêtes reggae/dancehall en Europe, comme le Rototom Sunsplash, célèbrent cette hybridation qui fait danser des milliers de festivaliers.

Les artistes : ponts vivants entre reggae et dancehall

Certaines figures incarnent à elles seules cette passerelle entre le reggae roots et le dancehall. Prenons Damian “Jr Gong” Marley, souvent cité comme l’une des forces contemporaines du reggae, mais dont les riddims flirtent régulièrement avec la rapidité du dancehall. Son morceau Welcome to Jamrock, classique absolu sorti en 2005, est un parfait équilibre entre des paroles militantes reggae et une structure dancehall captivante.

De son côté, Koffee, couronnée d’un Grammy pour son EP Rapture en 2020, brouille encore un peu plus les lignes. Bien que souvent étiquetée comme une artiste reggae, Koffee jongle entre les sonorités roots, hip-hop et dancehall, créant un cocktail frais et irrésistible. Et que dire de Popcaan, dont les collaborations avec Drake ou Burna Boy magnifient un style dancehall tourné vers des influences internationales, sans jamais oublier Kingston.

Un genre, plusieurs facettes

Le dancehall contemporain n’est pas monolithique. Il existe plusieurs sous-courants qui façonnent le paysage actuel :

  • Trap Hall : Inspiré par la trap américaine, ce sous-genre puise dans des beats lourds et des basses fréquences. Skillibeng, avec des morceaux comme Wap Wap, en est un digne représentant.
  • Danchall Revival : Certains artistes comme Kabaka Pyramid ou Chronixx reviennent à des structures dancehall plus proches de celles des années 1990, tout en introduisant des paroles engagées.
  • Afro-dancehall : Des artistes nigérians comme Burna Boy ou Wizkid mélangent dancehall et afrobeats, créant un crossover irrésistible pour les auditeurs mondiaux.

Ces évolutions montrent à quel point le dancehall a réussi à transcender ses origines, devenant un genre multifacette, tout en influençant le reggae et d’autres styles mondiaux.

Le reggae sans le dancehall : est-ce encore possible ?

La question mérite d’être posée. En 2023, il semble impossible de parler du reggae sans mentionner la mainmise du dancehall. Certains puristes regrettent cette fusion grandissante, estimant que le reggae perd de son essence roots et de ses messages politiques profonds. Pourtant, d’autres défendent cette mutation, qui permet non seulement à la culture reggae de rester pertinente pour les nouvelles générations mais aussi de rayonner à l’international.

C’est ce croisement, cet entrelacement des deux styles, qui est peut-être leur plus grande force aujourd’hui. Dans un monde dominé par les playlists Spotify, où les frontières entre les genres s’effacent, c’est un atout indéniable pour captiver un public global.

Changement ou continuité ?

Alors, le dancehall redéfinit-il le reggae contemporain ? Absolument. Mais plutôt que de parler de redéfinition, peut-être devrions-nous parler d’adaptation, d’une manière pour le reggae de rester vivant et pertinent en 2023. Tout comme le reggae roots a évolué à partir du ska dans les années 1970, le dancehall est aujourd’hui un moteur d’évolution qui permet au reggae de s’infiltrer dans des espaces encore inexplorés.

S’il reste des tensions entre les deux camps – les puristes roots et les aficionados d’un son plus moderne – on ne peut nier que cette dualité est une richesse. Après tout, l’esprit de la musique jamaïcaine a toujours été de se renouveler, tout en restant fidèle aux vibes. Et c’est bien là toute la beauté du reggae et du dancehall : deux frères, parfois rivaux, mais toujours inséparables.

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